Par une après-midi ensoleillée ( pv: lou ann)

Dans ma caravane, je ne possède pas d'horloge. Après tout, rien ne presse, et puis le soleil est tout aussi fiable. Je dirais donc que je me suis réveillée aux alentours de 14 heures, le soleil étant à son zénith. J'avais dormi nue, comme à mon habitude, avec Dallveig. Il était déjà levé bien avant que je ne me réveille : c'était plutôt un garçon du matin, tandis que moi je préfèrais somnoler.
Sautant du lit, j'attrapais une robe plutôt courte en coton chiné, bleu/gris souris. Je l'enfilais et allais humer l'air par la porte ouverte de ma - désormais notre - caravane. Sec. Je ne prévoyais aucune averse pour le moment; j'avais plutôt l'habitude de prévoir la météo et cela marchait souvent. Je sortis, pieds nus : la communauté s'activait, on pouvait sentir les odeurs de cuisine. Je reconnus l'ail, l'origan et sans doute.. de la carotte. Nous possédions nos propres cultures et les récoltes étaient toutes les années plus impressionantes les unes que les autres, dues à notre utilisation de fumier plutôt que d'engrais chimique, comme tous ces autres agriculteurs modernes qui vivaient un peu plus loin.
Après un salut généralisé au camp, je marchais jusqu'à la cascade dans le but d'aller me débarbouiller le visage, après une longue nuit de sommeil. M'accroupissant, je pris de l'eau entre mes mains et me la jetais dessus. J'en mettais aussi sur ma robe : peu importe, ça sécherais. Derrière les puissants bruits de la chute d'eau, je distinguais également des pas. Après toutes ces années ici, j'arrivais exactement à reconnaître les bruits humains de ceux de la nature, comme si mes sens s'étaient décuplés.
Je me retournais, pour apercevoir une silhouette qui me semblait plutôt familière.

« Knock knock knockin' on heaven's door ... »

Dès l'aube, ce morceau résonna dans le camp encore vide, mis à part un ou deux musiciens s'époumonant autour d'un feu éteint, dont les lueurs avaient tapissé les murs des caravanes toute la nuit. C'est au son de cette délicieuse mélodie que notre Lou Ann ouvrit les yeux, et fit machinalement un geste de la main sur sa gauche, mais sa paume n'effleura rien, sinon l'air. Elle frappa dans le vide, pensant éteindre son réveil, qui manifestement, n'était pas là où elle l'attendait. D'un geste sec, elle souleva le drap qui la recouvrait, se leva. Lorsque son pied chaud entra en contact avec un sol glacial, elle eut un choc.

« Qu'est-ce qu'il se passe, ici... Si c'est une blague, c'est pas drôle! »

Et c'est là qu'intervint la plus cruelle désillusion de la journée : elle était dans ce camp de hippies, encerclée par la nature à son état le plus sauvage, et la musique n'était autre que celle qui provenait d'un hippie esseulé dont l'objectif était, où semblait être, réveiller tout le monde avant dix heures. C'était mission réussie pour Lou Ann, mais il ne faut pas s'y tromper : d'autres dormaient encore profondément. Il faut dire que tout son la réveille, celle-ci! Cependant, nous ne sommes nullement là pour entendre les habitudes de sommeil de notre belle blondinette, ainsi je ne m'étendrais pas sur le sujet. Pour en revenir à Lou Ann, elle enfila une des robes -hideusement recouverte de fleurs psychédéliques- que la production lui avait fourni, et commença à se diriger vers le campement. La seule chose qu'elle ne regrettait pas dans cette émission, c'était les décors. Des lieux splendides, inimaginables, même. Alors, finalement, Salomé se dirigea à pas lents vers la cascade. Elle y resta quelques longues heures, seules. Et cela lui rappela inévitablement son enfance, au bord de l'océan. Bien sûr, ce n'était pas la même chose, bien sûr. Mais cette eau limpide aux teintes bleu azur lui faisait penser à l'océan qui avait bercé tant de ses tendres après-midis. S'en suivit alors une longue balade au fil des souvenirs. De l'un elle passait à l'autre, de Cedric elle allait vers Callum. Ca y est, on aborde le sujet qui fâche. Après une longue étude de ses sentiments pour l'un et l'autre -dont je vous passe les détails- Lou Ann se leva et décida d'aller cueillir des fruits, histoire de remplir son estomac qui commençait à émettre des grognements de protestation.
Ses pas la dirigèrent vers un arbre rempli de fruits particulièrement attirants. Elle en prit quelques uns, pour ensuite retourner vers sa cascade. Il s'avéra malheureusement que la cascade en question était particulièrement convoitée : une autre jeune fille en avait fait sa place. D'un pas ennuyé, Lou Ann s'avança. L'autre, qui était en réalité Shannon, regardait notre belle avec un étonnement grandissant. Et la blondinette eut un léger sourire désolé, comme si elle avait à s'excuser de revenir auprès de la chute d'eau où elle s'était établie. Mais elle n'en pensait pas un mot, ou plutôt un geste : Lou Ann s'était approprié cet endroit, qu'elle ne partagerait plus pour rien au monde. Doucement, elle salua sa jeune interlocutrice.

« Salut. Quelle surprise de voir quelqu'un ici. »

Je me relevais, tout en passant la main dans mes cheveux. La silhouette que je reconnus enfin - celle de Lou Ann - s'avança vers moi en souriant. Elle me salua.

- Bonjour ! Oui, j'avais besoin d'un peu de fraîcheur.

Je lui souris également, comme à mon habitude. Je n'avais jamais été une boudeuse ni une pessimiste - j'avais tendance à voir le verre à moitié plein plutôt qu'à moitié vide. Je souriais facilement, quasiment tout le temps. Tant pis pour moi, d'un certain côté : quand je serais plus âgée, je serais pleine de rides. Quand je pense à ce que les femmes du monde moderne font pour effacer leurs pattes d'oies ou leurs rides d'expression, ça me rend malade. Des tonnes de crèmes testées sur des animaux qui n'ont rien demandé, des liftings qui vous font ressembler à une personne figée. Tout simplement écoeurant.
Soudain, mon ventre grogna, me rappelant que je n'avais encore rien mangé depuis la veille. Les odeurs de cuisine y étaient aussi pour quelque chose, à mon avis.

- Tu as déjà mangé ? J'ai senti qu'ils avaient préparé un bon festin pour ce midi.

J'allais continuer sur ma lancée, mais je me souvins que j'étais trop bavarde et que tout le monde n'appréciait pas ce côté de ma personnalité, je me tus donc et me rassit par terre, me fichant de salir ma robe. Je la nettoierais s'il le faut, après tout.
Les oiseaux chantaient et volletaient au dessus de nous. Ils devaient se sentir libres, comme moi. Comme l'air. Certains allaient même jusqu'à effleurer l'eau, m'éclaboussant parfois au passage.

- Tu n'aurais pas vu Dallveig, par hasard ? Je ne l'ai pas aperçu depuis que je me suis levée.

Je n'étais pas de nature inquiète, mais chaque minute sans lui était comme si je n'étais qu'une moitié de moi-même, pas entière. Puis, je me demandais si Lou Ann connaissait mon petit ami. Oui, sans doute, tout le monde se connait ici.
Je pris mes genoux entre mes bras, baissait la tête et étouffait un baillement. J'avais pourtant eu mon comptant d'heures de sommeil.

Lou Ann soutint un instant le regard de Shannon, avant de replonger ses iris dans l'eau bleue, bleue comme ses yeux. C'était comme si elle était ailleurs, dans un monde parallèle. L'entourage était le même, mais pas elle. La belle n'écoutait plus rien, ne suivait plus rien. C'est à peine si la voix mélodieuse de Shannon parvint à ses oreilles, la tirant ainsi de son introspection.

« Tu n'aurais pas vu Dallveig, par hasard ? Je ne l'ai pas aperçu depuis que je me suis levée. »

Dallveig? Ah oui, Dallveig. Il avait accueilli l'actrice à bras ouverts, comme une des leurs, et elle n'ignorait pas sa relation avec Shannon. Ils formaient un beau couple, mais elle ne s'en préoccupait absolument pas. Les seuls qui comptaient étaient Callum et Cedric, personne d'autre. Lou Ann avait des amis bien sûr. Mais Salome ne pensait qu'à eux deux. Cela dit, vous n'êtes sûrement pas là pour une ôde à Cedric ou un éloge à Callum, mieux vaut donc s'en tenir à ces quelques mots. Reprenant ses esprits, elle répondu dans un souffle :

« Non, pas vu. Désolée... »

Lou Ann s'approcha de l'eau, s'agenouilla et se pencha pour s'hydrater le visage. Cette fraîcheur manquait, en plein soleil. Elle n'eut gère le temps de se passer les mains sur la peau qu'elle glissa. Son corps fut immergé en un temps record. Avec un sourire en coin, Lou s'exclama :

« Tu m'as poussée! Je t'ai vue! »

Evidemment, ces mots ne passèrent pas sans un sourire. Shannon ne pouvait absolument pas l'avoir mise à l'eau, se trouvant à plus de cinq mètres de l'eau. Lou Ann esquissa un mouvement pour sortir, mais finalement préféra rester dans l'eau glacée. Le soleil brûlait, et le froid serait presque devenu agréable au milieu de cette chaleur infernale.
Elle arrosa Shannon du bout des doigts, attaque, pour ainsi dire, innoffensive.

« Viens-là plutôt, viens payer pour ça! »

Et voilà tous ses tracas effacés par quelques goutters d'eau. Il fallait bien cela pour la sortir de sa folle rêverie, car rien ne fait plus de bien que de retomber en enfance.

J'accueillais sa réponse d'un hochement de tête puis replongeait la tête dans mes genoux, baillant derechef.
Tout à coup, avant même que je n'ai eu le temps de re-bailler, j'entendis un "Plouf" provenant de mon côté gauche. Je tournais la tête et vit Lou Ann dans l'eau, en train de s'asticoter. Elle m'accusa en riant de l'avoir poussée alors que je ne l'avais même pas vu aller au bord de la rivière. Je ris également. Je me dit que l'eau ne devait pas être très chaude que que Lou Ann devait sans doute grelotter, pourtant, elle y resta.
Cette dernière étant joueuse, elle m'arrosa légèrement et m'invita à la défier. Sans hésiter et sans même retirer ma robe, je sautais à l'eau en bombe, éclaboussant au passage 5 mètres à la ronde. Je revins à la surface, et lancait, victorieuse :

- Me voici ! Gare à toi, petite vilaine.

Sur ce, je l'éclaboussait d'eau en me rendant compte que mon raisonnement était bon : l'eau était froide. J'y restais tout de même, tout en continuant à l'asperger. Lou Ann fit de même sur moi et c'était dans les rires que nous continuions notre bataille d'eau glacée.
Quelques minutes plus tard, nous nous calmâmes, tout en rigolant encore. Cette partie de jeu me rappela mon enfance, gamins hippies que nous étions alors, jouant autour de cette même cascade.

- Je pense que nous sommes ex-aequo !

criai-je.

Et je rit à nouveau, ne me souciant plus de l'eau qui me donnait la chair de poule ou de ma robe et de mes cheveux trempés.
Je m'approchais de Lou Ann et lui en tapais cinq, pour déclarer que la bataille était finie. Je lui sourit. Nous allions peut-être devenir amies, qui sait...

Lou Ann appréciait - à juste titre - cet instant dans l'eau. Depuis toujours, elle avait adoré l'eau, et cela n'était pas prêt de s'arrêter. Cet élément était à son image : changeant. Un jour, la mer était déchaînée, l'autre, sans vagues et sans humeurs. Et lorsque l'océan se retire, elle efface toutes traces. C'était la même chose chez notre actrice, dès qu'elle mettait un pied dans la limpidité de l'eau, ses soucis s'effaçaient comme de banales traces de pas sur le sable. Mais la jeune femme ne pensait pas aux bienfaits de l'eau. Tout ce qu'elle avait en tête, c'était ce soleil au zénith, cette eau glacée qui lui faisait claquer des dents, ces sourires sur le visage de Shannon et le sien.
Le duel s'acheva avec une rapidité presque consternante : ni l'une ni l'autre n'avait pris l'avantage, et c'est d'un commun accord (ou au moins d'une tape dans la main) qu'elles arrêtèrent le match. Cette tape ne pouvait que rappeler à Lou Ann les paroles de l'une de ses collègues, le soir précédent, dans la caravane de la production.

« Shannon? Une vraie peste. Méfiez-vous-en, elle a l'air gentille, comme ça. Enfin bon, moi je dis ça... »

avait-elle lancé alors. La jeune actrice qu'est Salome avait alors affiché un air insouciant, qui disait plutôt « peu importe » que « d'accord, je l'éviterais ». Alors, l'actrice dont le nom lui échappait,avait tapé dans la main d'une autre jeune femme assise là, sans que notre actrice eut compris pourquoi.
Sur l'instant, Lou Ann n'avait prêté aucun intérêt à ces paroles. Mais cette simple tape dans la main lui fit se souvenir de tout cela. Que signifiait seulement cette frappe, imitée par les acteurs dans le dos de Shannon? Etait-ce un symbole de la prétendue hypocrisie de sa potentielle amie?
Lou Ann n'osait se forger une opinion. Après tout, peu importe ce que disent les autres. Plus jeune, elle était celle que tout le monde aimait. Très vite, elle s'était rendue compte que l'amitié des uns n'était que mensonge. Cela ne l'avait pas blessée, elle s'y attendait. Cependant, elle était singulièrement résignée à ne jouer de double jeu avec personne. Ce choix s'imposait à elle tous les jours; la franchise était devenue sa ligne de conduite, et la loyauté son mot d'ordre. Toutefois, vous n'êtes certainement pas là pour savoir tous les petits détails de la vie de Salome – ou Lou Ann, prénom au choix – et je vais reprendre de ce pas mon récit. Sur ces jolies réflexions, l'actrice observa les yeux bleus de Shannon. Qui pouvait imaginer qu'elle aurait été la « peste » dont la qualifiaient les deux collègues de Lou Ann? En tous cas, pas cette dernière. Néamoins, elle voulait être sûre. Et pour être sûre, il n'y a qu'une solution.

« Tu t'entends bien avec nous? Enfin, les 'nouveaux', comme vous devez nous appeler ? »

Le petit sourire qui s'affichait sur son visage n'exprimait ni reproche, ni ironie. Elle voulait que Shannon se confie, si confidences il y avait à faire. Elle avait repris son rôle d'actrice désormais. Après cette petite interlude aquatique, elle reprenait plus que jamais son rôle. Son but? Faire avouer à Shannon ses discordances d'avec certaines actrices. Et, cela va de soi, savoir si elle pouvait s'en faire une amie, ou pas. Avant, elle devait la connaître. Le seul moyen, c'était la manipulation. Bien qu'elle détestait cela, Lou Ann ne considérait pas cela comme du mensonge.. Juste comme un moyen d'obtenir ce que l'on veut sans avoir à le demander en face. Non, bien sûr que non, cela n'allait pas contre ses beaux principes.

« Ne te mens pas, Salome. »

lui murmurait tout de même sa conscience.

« Je ne suis plus Salome. Je suis Lou Ann. »

disait-elle à voix basse lorsque personne ne l'entendait. Alors, sa conscience cessait ses sermons, mais la seule phrase qu'elle avait entendu persévérait comme un écho dans sa tête.